Apprendre à prier pour apprendre à aimer
Le père Jacques Philippe était à Triel les 31 mai et 1er juin derniers, pour vivre au milieu de nous, et nous enseigner au cours de deux conférences sur l’oraison. Voici le texte de sa première conférence.
Enjeu : pourquoi être fidèle à la prière ? Ce n’est pas facile. Le démon cherchera toujours à nous éloigner de la prière. Ce combat suppose des convictions. En deuxième partie, on parlera du « comment prier ». Qu’est-ce qui fait que la prière est féconde ?
J’ai eu l’occasion de voyager pas mal. Je suis touché de voir que, chez beaucoup de personnes, il y a une soif de prière qui se développe. Beaucoup de paroisses mettent en place des temps d’adoration pendant la semaine et font l’adoration vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Il y a, d’abord peut-être, cette soif de vivre une vie chrétienne à base de conviction ou de doctrine, mais une rencontre personnelle avec le Seigneur est quelque chose de vivant. Une autre raison est que face au défi du monde d’aujourd’hui, on a besoin d’une lumière et d’une sagesse plus fortes que les capacités humaines. Beaucoup de personne sentent que c’est dans la prière et la rencontre avec Dieu que l’on peut trouver cette sécurité intérieure, cette confiance, la paix profonde, l’espérance.
Dieu a toujours désiré se faire connaître. Aujourd’hui plus que jamais, le Seigneur désire se faire connaître y compris aux pauvres et aux tout petits. Dieu désire se donner et se communiquer. Saint Jean de la Croix au XVIe siècle : « Le Seigneur a découvert au mortel les trésors de sa Sagesse et de son Esprit. Mais maintenant que la malice a découvert son visage, il les découvre davantage. »
Je crois que l’homme désire rencontrer Dieu. Dans toute vie de prière, il y a toujours le désir de rencontrer Dieu.
Pourquoi est-ce si fondamental ?
On peut se fonder sur les paroles de Jean-Paul II. Quelques extraits d’un document qui est très bon, sa lettre apostolique Entrez dans le nouveau millénaire publiée en 2001 pour l’Épiphanie. Jean-Paul II y donne les grandes orientations pour l’Église du troisième millénaire ; c’est un peu un document programmatique.
Dans ce texte, Jean-Paul II dresse un bilan de l’année 2000 et ensuite une méditation sur le mystère du Christ. Le premier point sur lequel Jean-Paul II insiste, est que tout chrétien est appelé à la sainteté. Il ne faut pas que le boulot fasse peur. Le but est, autant qu’il est possible, d’atteindre la plénitude de l’amour de Dieu et du prochain. Jean-Paul II rappelle que c’est le but de toute pastorale. Tout ce que l’Église met en place c’est pour permettre à tous les croyants de répondre à cet appel.
Pour répondre à cet appel à la sainteté, la première chose à mettre en place est la vie de prière. Il développe beaucoup de points, mais le point sur lequel il commence c’est l’éducation à la prière. Pour cette pédagogie de la sainteté il faut un christianisme qui se distingue avant tout dans l’art de la prière. L’année jubilaire a été une année de prière personnelle et communautaire. La prière ne doit pas être considérée comme évidente. Il est nécessaire d’apprendre à prier.
Seigneur apprends nous à prier ! Le pape se réfère à cet événement de l’Évangile où Jésus prend du temps pour prier et se met à l’écart. Les disciples s’en apercevaient puis ils en ont été touchés. Ils ne savaient pas ce que Jésus disait mais en le voyant prier, ils ont pressenti qu’Il recevait tout du Père et ils ont eu ce désir de prier.
On voit des personnes prier avec recueillement et profondeur. On a envie de rentrer la dedans. C’est très beau ! C’est beau quand on est saisi d’une soif de prier et d’être seul avec Dieu. Si je peux encourager ce désir de prière je n’aurai pas perdu mon temps.
La prière est un chemin d’humilité. Il faut accepter de se laisser conduire. Il y a une dimension de docilité, d’humilité. C’est d’abord une décision de fidélité et ensuite essayer d’apprendre, nous mettre à l’école de l’Évangile. Cela suppose persévérance et humilité. parfois la vie de prière nous obligera à sortir de certains schémas et à nous remettre en question. Il faut qu’il y ait cette soif et ce désir d’apprentissage. Nous sommes comme des gens qui meurent de soif et qui ne s’en rendent pas compte. Dieu il n’y a pas besoin d’aller loin pour le chercher. Un des plus beaux fruits est de découvrir la présence de Dieu en nous.
Combien cela changerait la vie de milliards de personnes s’ils étaient persuadés que Dieu était en eux. C’est une présence et une source de vie, discrète, secrète, pas toujours sensible, mais réelle. Je ne vous appelle pas simplement serviteurs, mais amis. Quand Jésus appelle les Douze, Dieu nous invite à Lui pour être ses amis et pour venir partager notre vie ; être avec Lui comme Lui est avec nous.
Il faut qu’il y ait cette petite part de gratuité. Dieu a soif d’être avec nous. Il met son bonheur à demeurer parmi les hommes. Il nous prend tels que nous sommes. Dieu frappe à la porte de notre cœur. Mais nous mettons du temps à ouvrir. « Demeurer en moi comme moi en vous » (Jean, 15, 4). Cette réciprocité est la condition de toute vie pastorale authentique. Elle nous ouvre par le Fils la porte du Père.
Pour vivre pleinement cette logique trinitaire, il y a les deux aspects : personnel et communautaire ou ecclésial. On ne peut pas être chrétien tout seul, mais l’aspect collectif et communautaire ne suffit pas. Dieu a des paroles uniques pour chacun. S’il n’y a pas de prière personnelle, il n’y aura pas toute la profondeur et la fécondité dans notre vie. Cela ne s’oppose pas, mais se complète.
Un christianisme fondé sur la prière, est vivant et n’a pas peur de la vie. Il revient continuellement à la source et s’y régénère. Si j’expérimente que Dieu est là, qui aura peur du lendemain ? Nous n’avons pas à avoir peur. Un des enjeux fondamentaux de la prière est de permettre d’être en paix. Si on perd la paix de notre cœur, on réagit de manière humaine avec agressivité.
Aujourd’hui on sait ce qui se passe partout en temps réel. Cela peut être une grâce, mais ça peut être terrible. Il est important d’avoir le temps de la prière pour ne pas être submergé par l’inquiétude.
Nous chrétiens, avons un devoir de paix. Dieu ne demande pas que nous soyons les meilleurs ou parfaits, mais Il demande que l’on témoigne de la paix. « J’ai mes épreuves et mes combats, mais je suis en paix car Dieu est avec moi ». Pas une paix auto-créée par mes forces. Dans la prière, chaque jour, Dieu nous donne une paix toute neuve.
Une des raisons pour lesquelles c’est urgent de prier. Ne pas maîtriser les moyens humains, les outils psychologiques,… La source profonde de la paix c’est Dieu. Il nous permet de ne pas être dans le stress, l’inquiétude. Si notre cœur est en paix, nous ferons beaucoup de bien. Si tu es en paix avec Dieu, la multitude trouvera la paix auprès de toi : « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu » (septième béatitude).
Le contact intime et personnel est dans la prière. Ce mystère de la prière est une des raisons de la fidélité à la prière. La fidélité à la prière est le contact avec la parole de Dieu. Parfois on partage et on discute entre nous, de nos angoisses et inquiétudes et on ne se fait pas du bien. « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix » (Jean 14). « Je vous ai dit tout cela pour que vous ayez ma paix en vous. »
Sur quoi nous appuyons-nous ?
Un des secrets pour trouver cette paix que Dieu veut nous donner ce sont les Écritures : « je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».
Jean-Paul II : « Oui, chers frères et sœurs, nos communautés doivent redevenir une école de prière. Aussi une école de service. L’éducation à la prière est la priorité de la communauté pastorale. Dieu peut changer nos cœurs par la prière, les sacrements,… » Malheureusement, la seule forme de prière répandue, c’est la « demande ». Il ne faut pas que notre prière se réduise à ça. Il faut aussi « action de grâce », « louange », « contemplation », « écoute », « affection ardente » jusqu’à une vraie folie du cœur.
Un des plus grands péchés est de désespérer soi-même. Dans la vie on expérimente ses limites. Il faut nous savoir pauvres. Une porte d’entrée dans la prière est la pauvreté spirituelle. Même si nous sentons de manière douloureuse nos limites, il ne faut jamais nous décourager, ne pas désespérer de soi.
Dieu est plus grand que ton cœur. Dans la prière, Dieu n’est pas un juge. Il nous dit n’aie pas peur de tes limites et de ta fragilité. Dieu peut transformer notre cœur. La prière est un lieu où le cœur de l’homme change. C’est réel et bouleversant, mais Il faut accepter que cela prenne du temps. Si je suis fidèle à la prière pour que Dieu me transforme, alors Dieu transformera mon cœur.
C’est une grande joie de se donner Dieu les uns aux autres. Face aux épreuves que le monde impose à notre foi, le pape dit que cet appel à la prière est pour tous. En qui as-tu mis ton espérance ? Crois-tu à la victoire du Christ ? Crois-tu à la victoire de l’amour ? Le combat de la vie chrétienne c’est le combat de la foi.
C’est à travers la prière que la vie s’approfondit et se renouvelle. On se tromperait si l’on pensait que le simple chrétien pouvait se contenter d’une prière superficielle. Le chrétien qui se contente d’une prière superficielle, devient un chrétien médiocre et en danger. Il court le risque de voir sa foi profondément affaiblie et d’accepter des propositions religieuses de suppléances. L’opposé de la foi ce n’est pas l’athéisme. Personne n’est athée, on croit toujours en quelque chose. Tout un tas de croyances stupides naissent. L’homme a besoin d’une présence et a besoin de dialoguer avec l’invisible.
Le pape conclut en disant que l’éducation à la prière devient un point déterminant de toute pastorale. La première chose à faire, c’est de s’y mettre. Quand on est de bonne volonté et que l’on est fidèle, le Seigneur nous éduquera et nous aidera à vivre une expérience profonde. Dieu est fidèle. Laissons-le nous prendre par la main.
Importance de la prière
Une des raisons pour laquelle la prière est importante c’est qu’elle nous aide à découvrir Dieu et à nous connaître. Une connaissance intime, personnelle de Dieu et de nous-mêmes. On a toujours une idée trop étroite sur Dieu ; elle doit passer de l’idée à l’expérience.
Il faut aussi se connaître soi-même : son péché, ses fragilités, sa pauvreté. Je découvre l’amour unique que Dieu a pour moi : c’est Le connaître comme Père, avec sa bienveillance. Il y a une grâce unique qui repose sur ma vie. Dieu dit « Tu es mon enfant bien aimé et en toi j’ai mis mon amour. »
On veut se construire, se réaliser, suivre les modes pour se donner un personnage pour être vu par les autres, mais Dieu a un regard de bienveillance et nous invite à nous secouer dans certain domaine. On découvre alors son identité profonde et on apprend à se connaitre.
L’élément le plus fondamental que je porte, c’est l’amour de Dieu qui est en moi. Dieu ne s’est pas trompé quand il m’a créé. Cela nous rend libre. C’est un des fruits de la prière : connaitre Dieu et se connaître soi-même.
Plus notre prière est profonde, plus Il nous communique son amour et son regard sur les autres. Raison pour laquelle il est important d’être fidèle à la prière. Il est important de pas prier simplement pour en recevoir les bénéfices. Si nous sommes fidèles à la prière c’est parce que Jésus nous le demande : c’est la réponse à un appel. Alors on aura le courage de persévérer.
Importance de la fidélité
« Dieu nous ne demande pas de bien prier, mais nous demande de prier sans cesse. Je veux être fidèle à l’oraison chaque jour, malgré les sécheresses que je pourrais avoir, malgré les paroles désobligeantes, menaçantes que le démon pourra trouver. C’est ma vocation, Dieu le veut, cela me suffit. Je ferai l’oraison, je le ferai le mieux que je pourrai et quand l’heure sera venue, je pourrai dire : “je n’ai guère travaillé, guère prié, mais je vous ai obéi.” » (Marthe Robin)
La fidélité à la prière est le signe concret que je veux aimer Dieu. Parfois aride, distrait, sans grand sentiment, mais fidèle. Ne cherchons pas une prière extraordinaire, mais cherchons la fidélité. Si l’on est animé par ce mouvement, il y aura des fruits.
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Différence entre adoration et oraison : Le terme oraison est plus général. L’oraison c’est la prière personnelle silencieuse, c’est prendre du temps pour se tenir en présence de Dieu, l’écouter et dialoguer avec lui. Parfois elle peut se faire devant le Saint Sacrement, mais l’adoration peut être une manière de faire oraison.
L’adoration est l’attitude de la créature qui s’émerveille et s’ouvre totalement devant la beauté du mystère de Dieu. C’est une prière où l’homme est tourné devant la beauté du mystère, avec émerveillement. C’est un acte de foi. C’est l’ouverture plénière au mystère de Dieu.
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Comment bien écouter Dieu ? : Il faut se rendre disponible. Il faut que le cœur ait une certaine liberté. Il faut déposer en Dieu nos soucis. La paix est une condition de l’écoute. Remettre nos soucis entre les mains de Dieu et nous établir dans une certaine confiance et humilité pour accepter ce que Dieu va nous dire. Parfois on voudrait que Dieu parle et il est muet, parfois on ne voudrait pas et il parle beaucoup.
N’oubliez pas de lire la Bible, c’est l’une des dimensions de l’écoute. Prendre quelques minutes pour méditer un texte chaque jour. Parfois c’est fort, parfois ça ne percute pas spécialement, mais si on persiste la parole répondra à nos besoins :
- C’est beau comme tel verset que je n’avais pas remarqué,
- Cela me donne une lumière précise sur ce que je veux,
- Ou la grâce de réconfort ou d’encouragement que l’on trouve dans la sainte Écriture.
Dans la grande tradition de l’Église, on parle de la parole de Dieu. C’est sur cette base de la parole de l’Écriture que se réalise le dialogue avec le Seigneur.
Bien connaître la Bible peut aider, mais l’essentiel n’est pas le côté littéraire ou scientifique. L’essentiel c’est la persévérance et le désir. Plus je lis la sainte Écriture avec un désir de conversion, plus elle deviendra lumineuse. Parfois il y a des paroles de l’Écriture que l’on peut vivre pendant des années. Si on est fidèle à fréquenter l’Écriture, on expérimentera que tel verset nous rejoint dans notre expérience concrète.
Il y a des moments d’aridité et de sécheresse et parfois des moments de grâce. C’est une invitation à une fidélité. Si on lit la Bible tous les jours, ou de temps en temps quand on a besoin, le passage lu sera un grand soutien.
Dieu tient compte de chacun et ce qui compte c’est la bonne volonté. Il ne faut pas tomber dans la culpabilité quand on n’est pas tout le temps fidèle, mais il faut mettre en place un certain rythme.
Père Jacques Philippe – Communauté des Béatitudes
Triel-sur-Seine (Yvelines), le 31 mai 2015
→ Deuxième partie : Comment rendre la prière plus féconde ?