Comment rendre la prière plus féconde ?

Le point que l’on veut trai­ter main­te­nant, c’est comment prier ; au sens de quelles sont les dispo­si­tions du cœur à appro­fon­dir dans la prière, pour que celle-ci soit féconde. En première partie, nous avions parlé de l’im­por­tance de la vie d’orai­son pour répondre à l’ap­pel de Dieu et être fidèle jour après jour et année après année. C’est là que se tisse une profonde inti­mité avec Dieu. On apprend ainsi à se connaître soi-même.

Nous allons partir d’une phrase de saint Jean de la Croix qui est un grand spécia­liste de la vie spiri­tuelle. Dans La Montée du Carmel, il nous dit : « Il y a plusieurs âmes qui pensent n’avoir point d’orai­son et néan­moins qui en ont beau­coup. D’autres pensent en avoir beau­coup et en fait en ont fort peu. » Qu’est-ce qui diffé­ren­cie une prière super­fi­cielle de celle qui porte du fruit ? La réponse est simple, et nous allons la déve­lop­per main­te­nant.

Quand on prend du temps pour l’orai­son, même si ce n’est pas facile, il faut trou­ver un rythme de prière person­nelle selon ce que Dieu demande à chacun. Quand nous prenons du temps pour la prière, il y a beau­coup de manières d’oc­cu­per le temps. On peut partir de la médi­ta­tion de l’Écri­ture, on peut parler simple­ment avec le Seigneur, rester en silence. Parfois ce qui peut aider c’est une prière répé­ti­tive comme le chape­let, par exemple pour me lancer si je suis fati­gué.

Ce qui est impor­tant de comprendre, c’est qu’il y a une grande liberté, mais ce qui est déter­mi­nant c’est l’at­ti­tude inté­rieure. Les dispo­si­tions profondes du cœur sont fonda­men­tales. Pour qu’une prière soit féconde, bonne et qu’elle fasse toucher le mystère de Dieu, bien se rappe­ler que l’es­sen­tiel de cette prière est un acte de foi, d’es­pé­rance et d’amour.

Foi, espé­rance, charité – les trois vertus théo­lo­gales – sont la base de la vie chré­tienne. Cela nous donne les critères de discer­ne­ment pour éviter certains faux problèmes et certaines diffi­cul­tés dans la prière. Quand je prie, je pose un acte de foi, d’es­pé­rance et d’amour à travers ce temps que je consacre à la prière.

La prière est un acte de foi

Quand on se met en prière, on pose un acte de foi ; on croit que Dieu existe, qu’il nous aime et que ça vaut la peine de lui consa­crer du temps. La prière est la manière la plus natu­relle d’ex­pri­mer notre foi. L’acte de foi nous fait toucher Dieu. Quand nous sommes dans une atti­tude de foi profonde, nous sommes en contact avec Dieu

Pour le comprendre, parlons du rôle de la sensi­bi­lité et de l’in­tel­li­gence dans la prière. Quand on utilise des méthodes de prière, on met en œuvre sa sensi­bi­lité. Si notre sensi­bi­lité est touchée et que notre intel­li­gence est touchée, c’est beau ! La sensi­bi­lité a un rôle posi­tif quand je suis touché au niveau émotion­nel pendant un moment de grâce. On est ému. On peut pleu­rer de repen­tir, de joie, d’émo­tion. Cela n’ar­rive pas tous les jours mais quand ça arrive, c’est beau. Cela veut dire que Dieu n’est plus simple­ment une idée, une abstrac­tion. Évidem­ment c’est un grand cadeau. Il faut quand même être atten­tif que ce n’est pas là l’es­sen­tiel.

Parfois on ne sent rien du tout. On sent la séche­resse, l’ari­dité. On reste de marbre, on n’ar­rive pas à ressen­tir. Cela nous inquiète car on ne sent pas Sa présence. Dieu est infi­ni­ment plus grand que ce que l’on peut ressen­tir de Lui. Atten­tion à ne pas s’at­ta­cher aux émotions sous forme d’une gour­man­dise spiri­tuelle ! Même si je ne sens rien, du moment que je crois, je suis en contact. La foi nous rend libre. Ce qui nous met en contact avec le mystère de Dieu, c’est l’acte de foi. Je crois, donc je suis en contact avec Dieu. Dès que je suis dans une atti­tude de foi sincère, je me laisse toucher par Lui.

L’in­tel­li­gence a un rôle impor­tant. Il ne faut pas se conten­ter de croire avec la foi du char­bon­nier, mais comprendre. Il y a une part de forma­tion et de travail de l’in­tel­li­gence pour s’ap­pro­prier la foi chré­tienne. Même si nous avons beau­coup de bonne volonté, il y a des moments dans notre vie person­nelle où nous sommes dans l’obs­cu­rité. Parfois Dieu éclaire l’in­tel­li­gence, mais on n’a pas tous les jours immé­dia­te­ment la réponse que l’on dési­rait. Personne n’y échappe, même le plus grand des saints n’a pas réponse à tout. « La personne qui prétend avoir réponse à tout n’est proba­ble­ment pas conduite par le Saint Esprit ».

Tout ce que nous compre­nons de Dieu c’est très bien, mais Dieu est infi­ni­ment plus grand que ce que nous compre­nons de Lui. Il faut expé­ri­men­ter parfois que la rencontre avec Dieu est une grande lumière, mais parfois une grande obscu­rité. Il ne faut pas se décou­ra­ger : « Je ne comprends rien, j’ai du mal par rapport à telle vérité de la foi ! » Ce qui te met en contact avec le mystère de Dieu ce n’est pas ce que ton intel­li­gence perçoit, mais ta foi. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! C’est impor­tant de se rappe­ler que la foi nous met en contact avec Dieu. Quand c’est accom­pa­gné de sensa­tion, tant mieux, mais la foi suffit. Je crois et donc, par cet acte de foi, je suis en contact avec le mystère de Dieu. Que ce soit dans la conso­la­tion et dans la lumière, ou non.

La prière est un acte d’es­pé­rance

C’est évident que toute prière sincère est un acte d’es­pé­rance. On recon­nait qu’on a besoin de Dieu et qu’on attend le salut, la grâce, le soutien. Il signi­fie : « Seigneur, j’at­tends tout de Toi, de ton amour, de ta fidé­lité et de ta bonté ». Il n’y a pas de vie de prière fidèle sans que nous passions par des étapes de pauvreté. Il faut le savoir, cette réalité de la prière est très para­doxale. Parfois dans certains moments de grâce, on vit un grand bonheur, mais ce n’est pas toujours le cas.

Pourquoi être pauvre dans la prière ? Dans la vie de prière, on n’est pas dans le domaine de la tech­nique ou de l’ef­fi­ca­cité ; on est un peu dépassé par les événe­ments. Il existe nombre de domaines dans la vie où la tech­nique abou­tit à un résul­tat ; dans la prière cela ne marche pas comme ça. On ne peut pas dire qu’il y a une tech­nique de prière qui nous satis­fe­rait à tous les coups.

Il faut donc accep­ter une certaine pauvreté. C’est Dieu qui se donne, qui nous visite, mais ce n’est pas le simple résul­tat d’une tech­nique que l’on maîtrise. Plus nous avançons dans notre vie de prière, plus nous faisons parfois l’ex­pé­rience profonde de notre pauvreté person­nelle. On voit plus nos défauts. On voit plus nos péchés. Tout un tas de choses que l’on cherche à fuir et à se cacher, pas d’échap­pa­toire. Tout ce qui ne va pas dans la vie, monte à la surface. Seul, dans le silence face à Dieu, c’est dans ces moments-là que ce qui ne va pas monte à la surface. Ce n’est pas confor­table, mais c’est une grâce !

C’est alors le moment de pratiquer la vertu de l’es­pé­rance. Seigneur je suis pauvre devant Toi. Ce n’est pas sur moi que je compte, mais sur Toi. Ma pauvreté est là, mais je n’en fais pas un drame. J’ac­cepte ma pauvreté et j’es­père en Toi.

On raconte dans la vie de saint Louis : « […] tu voudrais prier comme un saint, je t’in­vite à prier comme un pauvre ! » Accep­ter que notre prière soit une prière de pauvre. « Un pauvre a crié, Dieu l’écoute ». Le chemin de la vie spiri­tuelle n’est pas toujours un chemin qui monte, mais parfois il descend et il faut l’ac­cep­ter. Il y a un travail de vérité qui peut être doulou­reux, avec notre orgueil, nos peurs,… Cela nous oblige à pratiquer l’es­pé­rance. Tout espé­rer de Dieu, avec confiance. « Heureux les pauvres… » Toute vie de prière authen­tique a ses moments de nuit qui sont une expé­rience très concrète de la fragi­lité humaine.

La prière est un acte d’amour

Pour que la prière soit bonne et féconde, ce doit être un acte d’amour. Cela ne veut pas dire roman­tique et sensible, mais qu’il y a une véri­table envie d’ai­mer Dieu. Il y a toute une dimen­sion de don de prière à Dieu. C’est abso­lu­ment fonda­men­tal. Prier c’est dési­rer se donner à Dieu et se livrer à l’amour de Dieu. Toute la prière est un acte d’amour de Dieu. C’est bien aussi de réali­ser que toute prière vraie est un acte d’amour du prochain. À travers la prière on a la possi­bi­lité d’être proche de ceux que l’on veut aider. C’est un cadeau de Dieu.

Tout homme qui cherche et trouve Dieu entraîne les autres. La prière me paci­fie, me rend plus humble, plus misé­ri­cor­dieux, plus doux. Toute personne qui prie de manière sincère et fidèle, son cœur se trans­forme dans un sens de bien­veillance, d’hu­mi­lité,… Quand nous prions, c’est le désir d’ai­mer qui est l’âme et le moteur de la vie de prière : la foi, l’es­pé­rance et l’amour.

À propos de la prière comme acte d’amour de Dieu il ne faut jamais oublier que c’est Dieu qui nous a aimés le premier ; que notre amour pour Dieu est toujours une réponse à un amour qui nous précède. Quand on parle de rela­tion d’amour entre l’homme qui prie et son Dieu, tout l’amour que l’on peut donner à Dieu n’est qu’une réponse à l’amour que l’on reçoit. Il faut savoir accueillir l’amour que Dieu a pour nous. Ce n’est pas toujours facile. C’est plus facile d’ai­mer les autres que de se lais­ser aimer. Aimer les autres, c’est une façon de nour­rir notre orgueil ; se lais­ser aimer est une posi­tion d’hu­mi­lité et de confiance. Pas simple. Dans la prière, l’as­pect fonda­men­tal est que l’acte le plus profond de la prière est de croire en Son amour et de se lais­ser aimer. Même si l’on n’a pas fait ce qu’il faut pour cela.

Aujourd’­hui c’est le monde des selfies et l’on véri­fie si l’image que l’on donne aux autres est la bonne. Dans la prière il faut s’ac­cep­ter pauvre. Il faut être content de l’amour que Dieu a pour moi.

Thérèse de l’En­fant-Jésus (morte à vingt-quatre ans) : la plupart du temps, sa prière était très sèche et aride. Mais elle a été fidèle. Elle était jeune quand elle est rentrée au carmel à seize ans, et elle manquait de sommeil par rapport à son âge. Résul­tat elle s’en­dor­mait pendant la priè­re… Thérèse parla à sa supé­rieure : « Avant de vous parler de cette épreuve j’au­rais dû vous parler de la retrai­te… Jésus dormait : mon Fiancé ne se fatigue pas beau­coup pour me faire la conver­sa­tion ! Au lieu de me déso­ler de ma peine, ça me fait un extrême plai­sir. Les parents aiment autant les enfants lorsqu’il dorment que quand ils sont éveillés. Ce qui est impor­tant c’est le regard que porte Dieu sur moi. »

Donner à Dieu la permis­sion de nous aimer tels que nous sommes. Dieu m’aime tel que je suis et j’ac­cueille cet amour. Cette dimen­sion de récep­ti­vité est impor­tante. On va à la prière pour aimer Dieu, mais encore plus pour se lais­ser aimer par Dieu. Cela veut dire que l’acte le plus essen­tiel de la prière, c’est la grati­tude envers l’amour que Dieu a pour nous. Ne jamais douter de l’amour de Dieu. Il faut se mettre sous le regard de Dieu en croyant toujours que c’est un regard de bonté. Je pense que pour opérer, les chirur­giens endorment leur malade : Dieu permet dans notre vie des moments de pauvreté de séche­resse et d’ari­dité pour agir libre­ment. On ne contrôle plus et la pauvreté ne peut que s’aban­don­ner. C’est à ce moment-là que l’ac­tion de Dieu est la plus profonde.

Accep­tons dans notre vie chré­tienne ces moments de pauvreté et d’im­puis­sance. C’est un appel à l’aban­don, à lâcher prise et à se lais­ser faire par la grâce de Dieu qui agit dans le secret. C’est impor­tant aussi de croire que ma pauvreté n’est pas un obstacle à l’amour de Dieu.

Je voudrais prendre une image

Qu’est-ce que c’est que la personne qui est fidèle à l’orai­son ? Qui essaie jour après jour, semaine après semaine,… à quoi pour­rait-on la compa­rer ? Il y a une image, une para­bole, qui exprime bien ce mystère de la fidé­lité à la prière : c’est l’image d’un homme qui se promène à la campagne, et il tombe amou­reux d’une vieille maison qu’il achète. Une belle petite propriété avec murs de pierre. il commence à la reta­per pour en faire une sympa­thique maison. Dans l’en­ceinte de la propriété, il y a un vieux puits bouché, rempli de grosses pierres, de feuilles, de boue et qui a servi de poubelle. Plein de sale­tés ! Cet homme se dit : « C’est dommage, au fond de ce puits, il pouvait y avoir une eau pure ! » Alors il se met à descendre dans le puits et à évacuer les sale­tés.

Ce puits c’est le cœur de l’homme. Chemi­ner dans la vie d’orai­son c’est entrer en soi-même de plus en plus profon­dé­ment. C’est être en contact avec ma fragi­lité, mes bles­sures. Je vais rencon­trer des choses pesantes en moi, souillées, sales, mortes, dont je prends conscience. Cet homme persé­vère et au bout d’un certain temps il retrouve la source. C’est un bonheur que de boire cette eau qu’il a décou­verte au fond du puits !

Le royaume de Dieu est au-dedans de nous. Peu à peu, on arrive à ces décou­vertes. On est la demeure de la Trinité. Je pense que l’un des grands fruits de la fidé­lité à la prière, est d’ap­prendre à décou­vrir et à faire une expé­rience où l’on goutte la réalité de la présence de Dieu en nous.

Pour rencon­trer Dieu, pas besoin d’al­ler loin. Ce n’est pas faire le vide en soi, mais apprendre la présence de Dieu dans notre cœur. Ce qu’il y a de plus profond dans le cœur de l’homme, ce sont les complexes, les réali­tés glauques.. freu­disme mal compris ! Non, ce qu’il y a de plus profond dans l’homme ce ne sont pas les fragi­li­tés psychiques ou les bles­sures, c’est la présence de Dieu. Ce mystère de foi, c’est très beau de le comprendre et cela devient une certaine expé­rience. Nous vivions à la surface de nous-mêmes : humeur, convoi­tise, agres­si­vité. On se lais­sait gouver­ner par ce qu’il y avait de plus super­fi­ciel en nous…

Main­te­nant on apprend à décou­vrir la présence de Dieu. Nos paroles, nos choix, nos déci­sions seront gouver­nés par la présence douce, aimante et pure du Saint Esprit qui habite notre cœur. De temps en temps, cette réalité de foi devient palpable. Il s’agit de croire et parce que nous croyons que Dieu habite notre cœur, la foi devient une certaine expé­rience de Dieu. C’est une grâce immense ! Ce n’est pas quelque chose que l’on possède de manière perma­nente, mais la fidé­lité à l’orai­son nous permet d’ap­prendre à vivre de notre cœur profond.

Père Jacques Philippe – Commu­nauté des Béati­tudes
Triel-sur-Seine (Yvelines), le 1er juin 2015