Les raisons de faire dire une messe

Article de Malo Tresca, publié dans « La Croix » du samedi 18 février 2017.

Pour un défunt, pour un vivant, les raisons sont diverses, les inten­tions variées. Si la pratique est ancienne, elle évolue aujourd’­hui.

Il se nomme Pierre, il a 37 ans, il est catho­lique et vit dans la banlieue pari­sienne. Faire dire une messe, il en avait déjà entendu parler. Mais dans sa famille, il n’en avait jamais été vrai­ment ques­tion. « Cela m’ap­pa­rais­sait un truc un peu vieillot et un brin super­sti­tieux », sourit-il. Il y a quatre ans, sa fille cadette, Claire, alors nouveau-née, présen­tait des signes inquié­tants de retard mental aux yeux de son pédiatre: des examens appro­fon­dis du cerveau furent deman­dés.

Le jour de la consul­ta­tion, Pierre est bloqué en Égypte pour son travail. « Ma femme y est allée seule. C’était terrible d’être si loin. Je me suis souvenu que l’on pouvait faire dire des messes pour des proches. J’ai demandé à un ami prêtre de le faire pour Claire. Ce jour-là, je l’ai parti­cu­liè­re­ment remise entre les mains de Dieu. »

L’ap­pré­hen­sion du pédiatre s’est révé­lée infon­dée. Pierre ne sait pas s’il y a un lien avec la messe célé­brée pour sa fille mais il s’en souvient comme d’un moment de « grâce  » et de «  commu­nion spiri­tuelle » avec sa fille, son épouse et Dieu. « Chaque messe offerte est une manière d’ap­pliquer la rédemp­tion du Christ à notre situa­tion parti­cu­lière », explique le P. Ludo­vic Serre, curé de Chaville. « Concrè­te­ment, le fidèle demande au prêtre, et à travers lui, à l’Église tout entière, de prier pour une inten­tion au moment où il célèbre l’eu­cha­ris­tie », ajoute le carme Chris­tophe-Marie Baudouin, prieur du couvent de Lille. Messe pour les défunts, pour les vivants, pour une action de grâce… les raisons en sont variées.

« La plus courante est de prier pour les défunts, observe cepen­dant le P. Serre, afin qu’ils accèdent à la pléni­tude de la lumière de Dieu par l’ac­tion du Christ actua­li­sée dans l’eu­cha­ris­tie. ». Il précise: « Il ne faut pas oublier que, une fois mort, je ne peux plus rien faire pour mon âme. Il n’y a que les vivants qui pour­ront m’ai­der, par leur prière, à rencon­trer Dieu. »

Ces messes sont le plus souvent deman­dées par les familles des défunts. Elles peuvent faire dire une, dix, trente messes… l’usage est souple et varié.

« La famille désire le salut du disparu qu’elle espère retrou­ver au royaume des cieux. Et c’est aussi un lien qui la rattache à cette personne », souligne le P. Serre.

Ne pas rompre ce lien, mani­fes­ter la présence de l’ab­sent parmi les vivants. C’est l’his­toire d’Oli­vier, 52 ans. Sa mère est morte bruta­le­ment au mois de décembre à Toulon. Issue d’une famille athée, la défunte est inci­né­rée et ses cendres sont disper­sées au bord de la mer : «  Et puis c’est tout, dit-il. J’ai ressenti un immense vide. Un de mes amis, qui connais­sait ma mère, m’a proposé de faire dire une messe pour elle, un dimanche. J’ai accepté aussi­tôt. »

Pourquoi? « J’avais besoin que l’on prie pour elle, de véri­fier que tout ne se finis­sait pas avec sa mort et son inci­né­ra­tion. »

Le jour dit, Olivier est venu à la messe avec ses deux filles, sa sœur, ses neveux et nièces. « Nous ne mettons jamais les pieds à l’église mais ce jour-là, ce n’était pas pareil », explique-t-il. « Lorsque le prêtre a nommé ma mère, j’ai été profon­dé­ment ému. J’ai eu l’im­pres­sion qu’elle n’était pas seule, là où elle était. Et qu’elle n’avait pas complè­te­ment disparu de notre monde. »

Cette rela­tion spiri­tuelle avec le défunt dépasse très large­ment les fron­tières cultu­relles. En Afrique, par exemple. «  Chez nous au Burundi », observe le P. Arsène Dutunge, prêtre du diocèse de Bujum­bura, « les morts ne sont pas morts. Ils sont toujours vivants en une autre dimen­sion. En disant une messe pour eux, nous mani­fes­tons notre commu­nion avec eux comme s’ils étaient présents en nous. »

Et à Bujum­bura comme à Chaville, la pers­pec­tive de cette démarche qui se porte au-delà de la mort est centrale pour les fidèles. «  Il s’agit de secou­rir une âme, de l’ai­der à quit­ter le purga­toire », complète le P. Arsène.«  Dans ce chemin, l’âme du mort a besoin de la prière des vivants. C’est pourquoi, dire une messe pour les défunts est un usage très répandu chez nous.  »

Le Caté­chisme de l’Église catho­lique ne dit pas autre chose: « Dès les premiers temps, l’Église a honoré la mémoire des défunts et offert des suffrages en leur faveur, en parti­cu­lier le sacri­fice eucha­ris­tique (cf. DS 856), afin que, puri­fiés, ils puissent parve­nir à la vision béati­fique de Dieu. L’Église recom­mande aussi les aumônes, les indul­gences et les œuvres de péni­tence en faveur des défunts. »

Si la pratique est ancienne, elle évolue toute­fois aujourd’­hui. Les prêtres observent d’abord la part plus grande prise par les inten­tions pour les « vivants  », notam­ment chez les plus jeunes. Autour d’un enfant malade, d’un parent au chômage, d’une situa­tion « déses­pé­rée  », de plus en plus de chaînes de prière se mettent en place. Parmi les nouveau­tés, note le P. Arsène, il y a cette action de grâce «  pour avoir obtenu un visa ». Autre varia­tion sensible: dire le nom de la personne pour qui la messe est célé­brée. « Avant, nous portions les inten­tions dans notre cœur. Aujourd’­hui, on nous demande de nommer les personnes sans quoi, il y a quelque chose d’in­com­plet pour les fidèles  », remarque le P. Serre. Ce qui n’est pas sans risque: « On peut écor­cher les noms », constate le P. Baudouin. Dans certaines églises, on s’y refuse aux messes domi­ni­cales.

Depuis le VIIIe  siècle, faire dire une messe a aussi un coût. Dans le langage de l’Église, on préfère le terme d’of­frande ou d’in­ten­tion de messe: 17 € en France, 50 centimes d’euro au Burundi. Cet usage est lié à la parti­ci­pa­tion du fidèle à la vie maté­rielle du prêtre et de l’Église. Mais pas seule­ment. Ils s’ins­crivent aussi dans l’his­toire de la péni­tence tari­fée née au Moyen Âge. Une pé- nitence pouvait être rache­tée par un certain nombre de messes: par exemple, trente messes pouvaient rache­ter un an de jeûne.

« Dans le passé, il y a eu des abus », souligne le P. Chris­tophe-Marie Baudouin. Au Moyen Âge, par exemple, on a vu des commu­nau­tés multi­plier les ordi­na­tions de prêtres afin de pouvoir augmen­ter leurs reve­nus liés aux messes ”tari­fées”. C’est pourquoi, cette pratique a décliné dans les années 1960–1980. Les 17 € sont indi­ca­tifs. La messe n’a pas de prix, elle est gratuite !

Si l’Église propose chaque année une grille indi­ca­tive de montants pour les offrandes des messes dites pour des inten­tions parti­cu­lières, les fidèles restent toujours libres de donner ce qu’ils souhaitent.

« Combien coûtera la messe? Quels sont vos hono­raires, Père?  » Qu’elles soient posées aux prêtres d’une voix assu­rée ou avec un brin de gêne, ces ques­tions taraudent régu­liè­re­ment nombre de parois­siens souhai­tant faire dire une messe pour un proche ou un événe­ment parti­cu­lier.

Comment, dès lors, fixer le coût d’une telle célé­bra­tion? Chaque année depuis près de quarante ans, la Confé­rence des évêques de France (CEF) propose une grille indi­ca­tive de prix pour aiguiller les fidèles s’in­ter­ro­geant à ce sujet. « Pour l’an­née 2017, les montants votés en novembre par l’as­sem­blée des évêques restent inchan­gés par rapport à l’an dernier », explique Corinne Boilley, secré­taire géné­rale adjointe de la CEF depuis 2012, char­gée des ques­tions écono­miques, juri­diques et sociales. «  Il n’y a en revanche pas d’in­di­ca­tions parti­cu­lières pour les offrandes des enter­re­ments, des baptêmes ou encore des mariages », pour­suit-elle, tout en préci­sant que les diocèses suivent, dans leur grande majo­rité, les premières recom­man­da­tions.

Il revient en effet à chaque diocèse de choi­sir ensuite de s’écar­ter ou non de ces propo­si­tions indi­ca­tives, en relayant d’autres sommes sur leurs sites ou dans leurs paroisses. Géné­ra­le­ment, la variante n’ex­cède pas, dans un sens comme dans l’autre, quelques euros. «  À Stras­bourg, les montants propo­sés sont tradi­tion­nel­le­ment infé­rieurs à ceux votés par la CEF: cette spéci­fi­cité est liée au statut parti­cu­lier des prêtres dans la région, toujours régie par le concor­dat  », explique le chanoine Bernard Xibaut, chan­ce­lier et secré­taire géné­ral du diocèse. « Par exemple, nous propo­sons la neuvaine à 160 € », cite-t-il, tout en concluant d’une voix amusée: «  Mais nous rappe­lons toujours qu’il s’agit là de montants indi­ca­tifs, et que le SDF pour­rait donner 50 centimes là où un milliar­daire pour­rait donner 100 euros ! »

À la Plaine-Saint-Denis (SeineSaint-Denis), le P. Jean-Marc Danty-Lafrance, curé de l’église Sainte-Gene­viève, est à la tête d’une assem­blée parois­siale très modeste. « Les montants votés par la CEF sont affi­chés dans l’église, mais nous répé­tons aux fidèles que la parti­ci­pa­tion reste libre  », témoigne-t-il, tout en ajou­tant « ne pas faire payer la moitié des messes (qu’il dit) pour des inten­tions parti­cu­lières ».

Tous rappellent que les sommes données ne permettent pas d’ache­ter la bien­veillance de Dieu et que les sacre­ments n’ont pas de valeurs marchandes. « La messe n’a en soi pas de prix: ou si elle en a un, c’est bien celui que le Seigneur a payé par le don de sa vie », explique ainsi le P. Paul Préaux, modé­ra­teur géné­ral de la commu­nauté Saint-Martin. « L’of­frande en argent qui accom­pagne la demande de messe ne corres­pond pas au paie­ment de la célé­bra­tion, mais elle permet au parois­sien de parti­ci­per plus étroi­te­ment au sacri­fice eucha­ris­tique en pour­voyant à la subsis­tance du prêtre qui offi­cie », pour­suit-il. Les sommes récol­tées sont en effet entiè­re­ment rever­sées aux célé­brants. Et leur apport est loin d’être négli­geable dans la vie de l’Église. D’après les derniers chiffres de la CEF, elles auraient rapporté, en 2015, plus de 52 millions d’eu­ros aux paroisses.


Repères

  • La défi­ni­tions :  L’Église permet aux fidèles de s’unir plus inti­me­ment au sacri­fice de la messe par une inten­tion person­nelle confiée au célé­brant. Cette possi­bi­lité d’as­so­cier une inten­tion privée à l’in­ten­tion géné­rale est très ancienne.
  • Le moyen : Le plus simple est de contac­ter sa paroisse. Mais on peut aussi s’adres­ser à un sanc­tuaire, une commu­nauté reli­gieuse. Cela peut aussi se faire par Inter­net.
  • L’in­ten­tion :  Si l’on prie le plus souvent pour un défunt, on peut aussi prier pour une multi­tude d’in­ten­tions: pour de jeunes mariés, un malade, un parent, un ami, pour soi-même, pour la vie du monde ou de l’Église, en action de grâces pour des noces d’or ou d’argent, pour un jubilé sacer­do­tal, une guéri­son, une paix retrou­vée… Il faut formu­ler l’in­ten­tion le plus simple­ment possible et si l’on souhaite rester discret, on peut deman­der « pour une inten­tion parti­cu­lière »
  • La date : On peut préci­ser la date à laquelle on veut que la messe soit célé­brée. Mais il vaut mieux véri­fier – avec le célé­brant ou ceux qui sont char­gés de ce service – que la date n’est pas déjà prise par beau­coup. Dans les lieux où cette pratique est très deman­dée, il est courant de ne pas pouvoir choi­sir la date rete­nue. En revanche, il est d’usage que l’on vous prévienne du jour et de l’heure rete­nus par le célé­brant.
  • L’of­frande :  Pour une messe, l’of­frande s’élève actuel­le­ment à 17 €. Pour une neuvaine (célé­bra­tion de neuf messes consé­cu­tives en neuf jours), il est proposé une offrande de 170 €. Pour un tren­tain dit grégo­rien (célé­bra­tion de 30 messes consé­cu­tives, 30 jours), l’of­frande est de 595 €.