Je ne suis pas Charlie, je suis simplement chrétien
« il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe » ; j‘ai plutôt l’impression en ce moment que le ciel nous tombe sur la tête, ou que le sol se dérobe sous nos pieds…
Nous avons plutôt quelques fois le sentiment que la terre s’écroule, que notre humanité tombe dans les bas fonds d’une violence qui nous sépare à jamais de Dieu, dans les profondeurs d’une eau bien agitée. « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas vos chemins » nous dit le Seigneur par la bouche d’Isaïe. Alors que certains disent agir au nom de Dieu, le Seigneur se désolidarise de tout acte violent qui ne respecterait pas sa création. Ainsi l’homme ne rejoint pas les pensées de Dieu ou plutôt de serait Dieu qui s’est éloigné de sa créature bien – aimée en la laissant se débrouiller avec son humanité dépouillée, sans une aide quelconque de la part de son Créateur ? Comme toutes les représentations de Dieu… « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées » : il y a en effet une immense distance entre Dieu et l’homme, une immense distance qui nous sépare de Dieu, si nous le voulons. Et cette distance est d’autant plus grande que Lui est riche en pardon et que nous, en sommes pauvres. Distance d’autant plus grande que lui est sur le registre de la gratuité que nous nous sommes sur le registre du mérite. Oui, la distance entre Lui est nous est immense, si nous le voulons. Alors que des hommes augmentent par leurs exactions cette distance entre nous et Dieu, au contraire d’autres, par leur vie, tentent de rétablir ce lien existentiel entre notre humanité et notre Créateur.
Aujourd’hui, baptême de Jésus, ce n’est pas le sol qui se dérobe à nos yeux, c’est le ciel qui se déchire pour rétablir la communication entre Dieu et ses enfants. Communication interrompue par notre initiative lorsque nous oublions de regarder vers le ciel. Cette distance instaurée par l’homme est annihilée par la plongée de Jésus dans cette eau bien agitée et trouble de notre péché.
Ce n’est pas le monde qui s’écroule, là, dans le baptême, c’est notre humanité qui reprend contact avec Dieu. Le baptême de Jésus c’est Dieu qui nous dit qui il est, en même temps qu’il nous rappelle qui nous sommes par rapport à Lui. C’est Dieu qui se mouille dans notre histoire humaine, totalement contraire aux représentations de Dieu que l’on voit aujourd’hui dans les journaux. C’est la première manifestation publique de Jésus dans l’évangile de Marc ; c’est une véritable manifestation, c’est l’épiphanie qui continue. Manifestation d’un Dieu qui ne reste pas loin de notre histoire et nous regardant de haut, désespéré par la violence qui détruit ses créatures bien aimée. Non, Dieu qui, en Jésus, plonge dans ce péché qui envahit l’humanité, y plonge au risque d’en être la victime, au risque de perdre son Fils unique. Enfin, par ce baptême, il n’y a plus de séparation entre le ciel et la terre ! entre Dieu et les hommes. Enfin cette distance tant redoutée est abolie ! Le ciel s’ouvre, la présence de Dieu se fait encore plus effective, Dieu se révèle : tu est mon fils ! Jésus est fils de Dieu, « c’est toi mon fils » ! Jésus est investi par son Père. En Jésus c’est la communication entre Dieu et ses enfants qui est rétablie. Une communication qui permet à l’homme de connaître qui est Dieu. Mais pas en utilisant sa simple imagination ou ses fantasmes, car là il prend des risques et se trompe, il se fait des idées sur Dieu, il s’imagine un dieu comme il le désire et il se façonne son dieu à l’inverse de se laisser façonner par Dieu. Il peut alors, lorsque la perfidie et la méchanceté prennent de l’importance dans son cœur, se représenter un dieu vengeur et assassin, prétexter Dieu pour des violences inhumaines. C’est ce que nous dit Isaïe : « Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées !… » C’est à nous de quitter nos mauvaises représentations de Dieu pour nous laisser révéler le vrai Dieu : c’est le baptême de Jésus ! L’humanité connaît enfin son Dieu tel qu’il est et non pas tel qu’il pense qu’il est ! Laissons-nous révéler notre Dieu par sa révélation c’est-à-dire par la prière et la Parole de Dieu. Laissons-nous recréer par Jésus : Jésus est le premier d’une création nouvelle, le premier d’une série dont nous faisons partie, si nous le désirons, par le baptême.
En se jetant à l’eau, Jésus nous propose de nous emmener avec lui, pouvoir vivre de lui et non plus de nous. Alors si nous voulons être ses disciples, nous devons nous aussi plonger au cœur de notre humanité avec la force du baptême. Quelle est cette force du baptême ? Le baptême me donne cette force de prier pour toutes les victimes de ces actes terroristes, mais aussi de prier pour les assassins sans tomber dans la facilité du « ils l’ont bien mérité » : car ce n’est pas ce que Jésus me demande. Le baptême me donne la force de prier pour tous ces dessinateurs et journalistes qui m’ont tant fait souffrir lorsqu’ils ont fait des caricatures insultantes sur notre Dieu à qui j’ai donné ma vie ; non, je n’ai jamais supporté Charlie Hebdo, et pourtant, parce que je suis baptisé, je prie pour ces personnes ; dont les confrères et amis pourtant continuent à nous insulter dans notre foi. Le baptême me donne la force de ne pas tomber dans la haine des autres religions par réaction épidermique et infantile : si Jésus avait agi comme cela, jamais il nous aurait sauvé de la mort. Le baptême me donne la force de ne pas stigmatiser notre humanité en me forçant à choisir entre « être Charlie » ou « être terroriste » ; non, je ne suis pas Charlie, je suis chrétien, plongé dans l’eau de la résurrection et du pardon avec Jésus. Frère et sœurs, vivons notre baptême.
Père Matthieu Berger +